Fin de semaine à Forcalquier

Quel point commun y a-t-il entre un pentecôtiste, un mono cycliste et un traileur de l’A.L.V. Athlétisme? Un camping, celui de Forcalquier dans les Alpes-de-Haute-Provence, un week-end de Pentecôte lézardé par la foudre. Orage, O désespoir, c’est au cœur d’un déchaînement céleste de trois jours que la vingtaine de coureurs de l’A.L.V. a choisi de dégourdir ses baskets. C’est aussi sur ce week-end bloc que je choisis de faire mon retour. Un désastre pour mon amour-propre, mais des paysages et des terrains de jeux qui valent la mortification.

Les Mourres et la Lure, le Ventoux et le Mercantour, Le Lubéron et sa Via Domitia toute proche, Forcalquier et sa chapelle dominatrice, son couvent franciscain des Cordeliers, son marché à touristes (un des plus grands de Provence), sa cave Henri Bardouin… Paraît que lors de la Semaine européenne des saveurs et des senteurs à la fin de l’été, on peut y apprendre la fabrication du Pastis. Je ne peux décemment pas rater ça ! Mais retour aux cochons corses et aux lotissements à lapins. Cinq circuits « Trace de trail » nous attendent sur ces trois jours.

Jour 1, mise en jambes. Ça fourmille et ça s’excite dans le mobile home. Levers en chaîne à 7h30, 7h45 et 8h01. Salutations au soleil, déj’ léger, enfin ça dépend pour qui, parce que y en a que rien n’arrête, douchette-pas douchette, préparation des tenues. « Keskejevémètre? court, très court, tout nu, fait chaud? Pas encore, mais va faire chaud, hein? Eau, quelle quantité? Ceinture, sac, gilet gourdes intégrées Salomon – non j’ai pas dit : « avec la gourde intégrée, celle qui court dedans », gilet Raidlight similaire, pas cher, soldé à St-Pierre, pris deux, pour alterner sur courses longues, etc. » Fin de l’agitation ubuesque. On file devant le panneau d’information du camping. Tout le monde il est là, beau, coloré et rasé de frais.

Début de la sortie avec du renforcement musculaire : étirement/contraction des mollets, ischio-jambiers et quadriceps, squats, sauts de grenouilles, accélérations en montée, planche araignée, etc. – j’avoue avoir encore en tête la vision de nos squats et fessiers débordant sur la route – suivie d’un petit footing de 7 km et 228 m d+, ponctué de mini séances de fractionnés sur terrain instable. Ici, hors chemins balisés, le sol est anarchique, couvert ça et là de pierres plates, de lauses utilisées pour la construction des bories, d’un gris aveuglant, sèches et cassantes comme un spectacle de Gaspard Proust. Le ton est donné pour nos chevilles. Ce mini parcours nous fait traverser le site unique et protégé des Mourres, formations géologiques étranges, en forme de champignons, de ponts, d’arches, de table, etc.

Les Mourres

Les Mourres

Les filles sont immortalisées sous l’une des arches par le smartphone de Sébastien, avec une Maryline, impériale, altière, prise en flag de pause contemplative.

Les filles

Les filles

Après le déjeuner et la sieste au bord de la piscine, le réveil est hard. Le second parcours, plus long que celui du matin (12,5 km et 405 m d+), nous ramène sur le site des Mourres pour une séance de fractionné plus poussée : 2,3,4,5,6,7,8,9,10,11… tours, je sais plus, mon compte-tours s’affole, j’ai la berlue, le tournis, je confonds mourres et traileurs, je ne comprends pas pourquoi on veut courir si vite dans une telle moiteur.

Le groupe

Le groupe

Je zappe, rentre avec Pauline et Judith. Nous nous arrêtons à la piscine pour une séance de récup’. « Alerte orage », annonce la pancarte qui nous laisse déconfites(ures de framboises). Heureusement, l’apéro de 18h30 me réconcilie avec l’eau manquée… certes additionnée de Ricard. Et de saucisson. Faut ce qu’il faut pendant que le coach donne les consignes du lendemain et que Nicolas Bié explique les différences entre les tatanes de trail qu’il a récemment testées pour Trails Endurance Mag.

Jour 2, allure course. On prend les mêmes et on recommence. Sur le papier, c’est marqué : « allure course » pour les deux séances de la journée. L’échauffement du matin s’effectue avec 40 minutes de voiture, derrière le coach… On aurait déjà attaqué en mode course et on m’aurait rien dit? (Oh fatche, comme j’ai envie de vomir, Christian), direction la montagne de Lure, au nord de Saint-Etienne-les-Orgues. Là-bas, nous attend un paysage à faire se damner les quatre reines de la Cité. La montagne de Lure n’a rien à envier à sa voisine, le Mont Ventoux. Au Signal, la vue à 360° est majestueuse. On comprend immédiatement que l’on se trouve sur une frontière délimitant Alpes et Provence. L’éternelle opposition nord-sud, magistralement sculptée par un orfèvre invisible. Nous sommes scotchés, hypnotisés par tant de beauté alpino-provençale.

Deux groupes se forment :

  • groupe 1 sur la distance de 21,4 km et 1 058 m d+
  • groupe 2 sur 12,4 km et 675 m d+.

Le coach assure : « Z’inquiétez pas, tout est fléché, y a qu’à suivre ». Sauf, que ça suivait pas. Aucun fléchage Trace de Trail en dur. Dans notre groupe, le 2, le repérage est assuré par Judith via son smartphone. Merci, car, grâce à toi, on n’a pas fini Into the wild. Les 12 km du circuit 4 bleu sont plaisants et sans difficulté. On descend d’un côté, on remonte de l’autre. Binaire.

Sur le chemin

Sur le chemin

Dans le groupe 1, il semble en revanche que l’on n’ait pas bien saisi le sens de « cohésion de groupe » Dispersés façon puzzle, chaque sous-groupe formé malgré lui mène sa barque. Alors même que nous bouclons le 11e kilomètre, Yoann Dercourt nous rejoint, seul, smartphone en main : « Ils se sont tous perdus! Avec le coach, ils étaient six, et pas un qui a téléchargé la trace! », avant de poursuivre, suivi de son père, Eric, bien content de se dégourdir « enfin » les jambes avec le fiston sur cette fin de parcours.

Seul

Seul

Arrivés au parking de la montagne de Lure, surprise de voir Maryline et Hélène fraîches comme les roses, je tente un timide : « Bien passé? ». « Super! On est allées tellement vite, on est trop fortes! », me répond Maryline en s’esclaffant avant d’expliquer que pas de fléchage, qu’elles se sont perdues et ont dû rebrousser chemin. Idem pour les six garçons dans le vent. Seul le duo Dupont & Dupont (sous toute réserve, Sébastien et Yann?), en plus de Yoann, a bouclé les 21 km grâce à la trace embarquée. On l’apprendra peu après, le fléchage des parcours Trace de Trail est délégué à des locaux. Normal quand on voit l’ampleur de la tâche. Le souci parfois, c’est la gestion des priorités par les baliseurs. Ici, on a un an de retard.

La descente du Ventoux

La descente de la Montagne de Lure

Après le pique-nique en famille sous un ciel déjà menaçant, les deux groupes rejoignent les sentiers pour une séance retour d’une vingtaine de kilomètres jusqu’au camping. Je redescends la voiture de Christian, avec quelques autres accompagnateurs. L’orage n’est pas loin et l’alerte à la foudre résonne de nouveau à nos oreilles après seulement cinq minutes de baignade dans la piscine du camping. Pas de rédemption aquatique, de relaxation podologique sur les brûlantes dalles de grès cérame, de bronzette assaisonnée d’un Pulco à la paille, d’un corps détendu du gland, avachi, dégoulinant comme un slime s’échappant de son réceptacle… Je noie ma dépitation sous la douche et la fraîcheur tiède d’un gel Caudalie au thé des vignes.

Si les gouttes de pluie peinent ici à s’organiser en trombes, les traileurs, eux, se font doucher sévère sur leur parcours. Le coach en rigole à son arrivée. Je retrouve Maryline, trempée mais souriante, en train de se sécher sur la terrasse du mobile home. Christian et Carole arrivent une demi-heure plus tard, eux aussi la banane aux lèvres. Je n’ai pas les récits de sortie détaillés, mais ça a dû attaquer à minima, au moins sur la première partie du parcours, sans doute un peu plus calme sur les derniers kilomètres, selon une source proche des premiers arrivés. Quasi 50 kilomètres dans la journée dans un air chargé, même en deux temps, même pour des furieux, ça creuse. Le soir, au restaurant, entre pizzas et plats carnés, les traits sont tirés, certains yeux « myxomateux », les muscles, tendons et articulations, sensibles. « Je suis en super forme! », confirme Nicolas Bié d’une voix d’outre-tombe, un rictus entendu aux lèvres.

Jour 3, retour aux sources. Point de séance à allure 7, juste une sortie de 40 minutes à trottiner dans les ruelles, entre les monuments historiques de Forcalquier. Nous sommes impressionnés par l’étendue du marché. Plus de 220 étals, une fréquence journalière, avec ses spécialités (produits de la mer, marché paysan), qui ponctue la vie de la cité tout au long de la saison touristique. À midi, nous nous retrouvons pour un dernier pique-nique sur le site des Mourres. Et comme chaque jour depuis le début de ce week-end, un rideau noir comme le Mordor avance en ligne vers Forcalquier… Pour info et ne pas être surpris, ce département est l’un de ceux qui comptent le plus grand nombre de jours d’orage par an (40).

Pour ma part, j’ai découvert une région, une de plus, des hauteurs, des vues splendides, des espaces très ouverts, des terrains instables différents des nôtres, des formes géologiques magiques… sur fond de pierre sèche lumineuse, de végétation subalpine et méridionale mêlées ou alternent les résineux montagnards avec les senteurs provençales si douces pour l’âme. Merci aux initiateurs de ce week-end et au très serviable gérant du camping, grand passionné de chocolat, prêt à se mettre en quatre, voire en douze pour satisfaire ses clients. A refaire, ici ou ailleurs, dans un bel esprit de camaraderie.

Nathalie MATHIEU